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Je n’ai vu nulle part sur Internet des fiches pratiques à ce sujet.

Pourtant le cas est courant et vous m’interrogez souvent sur cette question de la prescription des jugements lorsque le prêteur, qui est généralement une banque, a revendu ses créances à un nouveau créancier qui vous harcèle, par le biais de sociétés de recouvrement ou d’études d’huissiers, pour obtenir le paiement de la créance.

Comme vous le savez, si cette décision de justice est prescrite, le créancier ne peut plus l’invoquer pour vous poursuivre et si elle est prescrite et qu’il a eu le malheur de réaliser à votre encontre des saisies alors, celles-ci pourront être déclarées nulles et vous pourrez demander des dommages et intérêts s’il en a résulté un préjudice particulier.

Il y a donc un grand intérêt à savoir calculer la prescription de l’exécution d’une décision de justice.

Et ce n’est pas tout de dire que depuis la loi du 17 juin 2008, la prescription est de 10 ans, il faut encore savoir la calculer de manière exacte.

A titre liminaire, je précise qu’il faut entendre par « décisions de justice » toutes décisions (jugements, arrêts, ordonnances etc.) ayant acquis force de chose jugée, émanant des juridictions judiciaires ou administratives et auxquelles il faut ajouter les transactions.

PLAN

I Le cas des décisions antérieures au 19 juin 2008

II Le cas des décisions postérieures au 19 juin 2008

III – Le point de départ et le dernier jour de la prescription

IV – L’interruption et la suspension de la prescription

I – Les décisions de justice antérieures au 19 juin 2008

Pourquoi 19 juin 2008 ? C’est à cette date qu’est entrée en vigueur la loi précitée du 17 juin 2008 qui a bouleversé le régime de la prescription alors applicable. Avant cette loi, la prescription des décisions de justice était de 30 ans ; à compter de cette loi, elle devient décennale.

Le principe est donc simple :  avant le 19 juin 2008, la prescription était de 30 ans,

à partir du 19 juin 2008, la prescription est de 10 ans.

Si donc, au 19 juin 2008, votre décision de justice date de 30 ans ou plus, elle était déjà prescrite lorsque la loi est entrée en vigueur ; elle reste donc prescrite à ce jour.

Si, au 19 juin 2008, votre décision date de moins de 30 ans, il va falloir lui appliquer la nouvelle prescription de 10 ans ; mais comment faire concrètement ?

La loi elle-même fournit une réponse et prévoit (cf article 26 de la loi pour ceux qui souhaitent approfondir) que la nouvelle prescription s’applique à partir du 19 juin 2008 mais sans que la durée totale excède la durée de l’ancienne prescription (30 ans).

Il faut donc vérifier que la nouvelle prescription de 10 ans ajoutée à la prescription qui a déjà couru avant l’entrée en vigueur de la loi, ne dépassent pas 30 ans.

Illustration : imaginons que votre décision date du 3 juin 2006 ; elle avait un peu plus de 2 ans au jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

La nouvelle loi fait passer la prescription à 10 ans.

Il faut donc ajouter à ces 10 ans, les 2 ans déjà courus et vérifier que le tout ne dépasse pas 30 ans.

En l’espèce, la prescription totale aura été de 12 ans (2 +10) qui ne dépasse pas 30 ans ; la prescription sera donc acquise le 19 juin 2018.

Maintenant imaginons que votre décision date du 17 juin 1985, elle avait 23 ans au jour de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

A compter de la nouvelle loi, la prescription est de 10 ans qui ajoutée aux 23 ans déjà courus, font 33 ans qui dépassent les 30 ans.

Dans ce cas, la prescription sera acquise le 17 juin 2015 pour que la totalité de la prescription ne dépasse pas 30 ans.

Bien sûr, le cas des décisions antérieures au 19 juin 2008 sera de moins en moins répandu mais j’ai voulu rappeler cette méthode de calcul qui ne s’applique pas exclusivement aux décisions de justice mais à toutes les matières pour lesquelles la loi du 17 juin 2008 a réduit le délai de prescription.

II – Les décisions de justice postérieures au 19 juin 2008

C’est le cas le plus courant et le plus simple : votre décision de justice est postérieure au 19 juin 2008 ; la prescription est décennale.

III – Le premier jour et le dernier jour de la prescription

Les décisions de justice ont, toutes, une date qui est inscrite en première page du jugement. Il s’agit de la date à laquelle les juges ont rendu leur décision mais ce n’est pas cette date qui sert de point de départ au calcul de la prescription.

Le principe est que la prescription débute le jour où le titulaire d’un droit a eu connaissance des faits qui lui permettent d’exercer ce droit.

Pour simplifier, souvenez-vous que la prescription de l’exécution de la décision de justice ne débute qu’au jour où vous avez eu connaissance de la décision ou au jour où vous auriez dû en avoir connaissance.

Pour la plupart des décisions de justice, le 1er jour de la prescription sera le jour où la décision vous a été signifiée par voie de commissaire de justice (anciennement huissier de justice). [La signification fait aussi courir le délai d’appel pour les jugements de 1ère instance]

Quant au dernier jour du délai, ce sera le jour qui porte le même quantième que le 1er jour de la prescription.

Ilustration : imaginons que votre jugement date du 9 mai 2010 et qu’il vous a été signifié par huissier de justice le 15 juin 2010. Le 1er jour du délai de prescription est le 15 juin 2010 ; le dernier jour du délai sera le 15 juin 2020 (à minuit).

Questions pratiques :

  • Que se passe-t-il si le dernier jour du délai tombe un samedi, dimanche ou jour férié ?

La réponse est : le délai est prorogé  jusqu’au prochain jour ouvrable.

  • Que se passe-t-il s’il n’existe pas le même quantième ?  Le délai expire alors le dernier jour du mois.

Illustration : votre jugement date du 29 février 1988. Le dernier jour de la prescription aurait dû être le 29 février 1998 ; or l’année 1998 n’est pas bissextile ; le dernier jour sera donc le 28 février 1998.

Autre illustration : le jugement est signifié le 29 février 2024. Le dernier jour de la prescription sera le 28 février 2034.

Si est en cause une transaction, le point de départ de la prescription est le jour de sa signature.

A ce stade, vous avez déjà fait un grand chemin pour découvrir si le créancier peut exécuter la décision de justice qui vous condamne. Reste à vérifier si la prescription n’a pas été interrompue ou suspendue.

IV – Les cas où la prescription est interrompue ou suspendue

Les causes d’interruption et de suspension sont énumérées au code civil et vous pourrez trouver très facilement sur internet des explications sur ce point ; je me limiterai donc à des exemples pratiques.

1) Les causes d’interruption

Dans le cas de la prescription de l’exécution des décisions de justice, il faudra absolument vérifier au moins deux points :

  • Le créancier a-t-il déjà tenté de mettre à exécution la décision ?
  • Avez-vous reconnu la créance ou le droit du créancier ?
  • Le créancier a-t-il déjà tenté de mettre à exécution la décision ?

Le code civil dispose en effet que les actes d’exécution forcée et les « mesures conservatoires prises en application du code des procédures civiles d’exécution » sont des causes d’interruption. Qu’est-ce que cela signifie ?

L’idée est qu’à chaque fois que le créancier aura tenté de faire exécuter la décision de justice à votre encontre, par le biais d’actes d’exécution forcée ou de mesures conservatoires prises en application du code des procédures civiles d’exécution, il aura interrompu la prescription.

Questions pratiques :

  • Quelles sont les mesures conservatoires prises en application du code des procédures civiles d’exécution ? Par exemple : un commandement de payer signifié par commissaire de justice.
  • Quels sont ces actes d’exécution forcée ? Il faut nécessairement qu’il y ait eu une contrainte telle qu’une saisie sur compte bancaire, sur des meubles, des immeubles ou des rémunérations.

La simple lettre recommandée de mise en demeure n’est pas une cause d’interruption même si elle émane d’un commissaire, huissier de justice.

De manière pratique, souvenez-vous que les actes d’huissier qui vous sont signifiés (et non simplement envoyés par lettre simple ou recommandée) sont des actes qui interrompent la prescription.

Une signification nécessite obligatoirement que le commissaire de justice se déplace chez vous ou sur votre lieu de travail.

  • La reconnaissance du droit du créancier

L’idée est que si vous avez reconnu la dette cela revient en quelque sorte à légitimer la créance et le droit de votre créancier à vous poursuivre ; la prescription s’est donc interrompue.

Voici quelques exemples qui valent reconnaissance du droit de votre créancier :

  • la lettre (mail et autres écrits) par laquelle vous demandez une remise de votre dette ;
  • le paiement spontané d’une partie de la dette (et même le paiement des seuls intérêts de la dette) ;
  • l’écrit par laquelle vous reconnaissez votre responsabilité si cette reconnaissance n’est pas équivoque (par exemple une reconnaissance soumise à des conditions serait équivoque).
  • L’effet de l’interruption

Chaque acte interruptif arrête le court de la prescription qui recommence à courir pour un nouveau délai de 10 ans à l’issue de la cause d’interruption.

Il peut donc y avoir plusieurs causes d’interruption qui se suivent.

2) Les causes de suspension

  • La médiation

En droit de la consommation, la médiation est la cause qui me vient tout de suite à l’esprit. Si vous acceptez de recourir à la médiation vous suspendrez la prescription.

Cette suspension commencera le jour où les Parties ont accepté de recourir à la médiation. Lorsqu’il existe un acte écrit, la date de l’accord sera facile à fixer. En l’absence d’écrit et en l’état du droit positif [le droit en vigueur], la prescription sera suspendue à compter de la première réunion de médiation.

En principe, en cas de suspension, le délai de prescription reprend pour le temps qui lui reste à courir.

Toutefois concernant la médiation ainsi que les mesures d’instruction (ci-après), la prescription qui recommence à courir à la fin de la médiation, ne peut être inférieure à 6 mois.

  • L’impossibilité d’agir

Si vous êtes dans l’impossibilité d’agir à la suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure, la prescription est suspendue pendant tout le temps de l’empêchement.

Illustration : un trouble mental, une mise sous tutelle, une incarcération à l’étranger, une hospitalisation sont des causes de suspension.

  • Les mesures d’instruction

Les mesures d’instruction présentées avant tout procès sont également une cause de suspension comme par exemple les expertises judiciaires.

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La présente fiche pratique a pour vocation de vulgariser le droit ; elle est rédigée en des termes généraux qui ne sont pas une consultation personnelle.

Pour le calcul exact de la prescription applicable à votre cas, rien ne pourra remplacer le travail d’un professionnel du droit et de la matière.

La présente fiche est également soumise aux droits d’auteur. Toute reproduction est interdite.